EL GRECO (1541-1614)

 

Suite à la conférence du 20 mars 2015

Château de Flers

 

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Premières années en Crète : l’art de l’icône

 

El Greco naît en 1541, dans un petit village de Crète, à côté de Candie (devenue plus tard Heraclion) , dans une famille bourgeoise et même s'il n'y vit que peu de temps, c'est à l'école d'art post byzantin de Crète qu'il commence à développer ses talents pour présenter, en tant que maître peintre (depuis 1563) ses premières oeuvres signées de son vrai nom : Domenicos Theotokopoulos. Deux icônes de lui sont parvenues jusqu’à nous.

À la naissance du Greco, la Crète appartenait à la République de Venise, après avoir été longtemps sous domination arabe, puis byzantine. Ainsi, le Greco vient-il d’un monde méditerranéen qui fut de tous temps un mélange de cultures, héritier de Byzance plutôt que de Rome. Le peintre n’oubliera jamais cet héritage qui apparaît encore nettement dans certaines œuvres de la fin de sa vie.

 

 

 

A l’école du maniérisme italien

 

Venise (1566-1570) et Rome (1572-1576)

 

Il ne quittera pas tout à fait la sphère d’influence byzantine lorsqu’il quittera la Crète, puisqu’il séjournera à Venise de 1566 à 1570 et étudiera dans l’atelier du Titien (en italien, Tiziano Vecellio). Mais c’est auprès du Tintoret (Tintoretto) que le Greco puisera son inspiration. Du Titien, alors âgé (presque 80 ans) il apprit son sens de la couleur et du Tintoret, il apprit les caractéristiques du maniérisme, mouvement artistique à la mode à l’époque en Italie.

 

    

 

 

Vers 1570, sur une lettre de recommandation de son ami, Giulio Clovio, il est l’hôte du palais Farnèse à Rome.

C’est là qu’il découvre Michel Ange, mort depuis 6 ans, et son art de la sculpture dont il s’inspirera

dans ses deux Piéta romaines.

 

 

Par contre, il n’apprécie pas autant sa manière de peindre qu’il juge plus tournée vers le dessin que vers la couleur puisqu’il propose de repeindre la Chapelle Sixtine (où l’on voulait couvrir les nus jugés indécents) d’une manière plus belle et plus décente que lui, faisant preuve ainsi d’une arrogance sans pareille qui lui vaut  d’être chassé du palais Farnèse en 1572.

 

Cette exclusion ne l’empêcha pas de continuer à exercer son métier jusqu’en 1576, puisqu’il s’est inscrit, dès 1572, à l’Académie de St Luc (Académie des peintres romains).

Il exécute, pendant sa période italienne, plusieurs tableaux d’inspiration  « maniériste ».

 

 

En complète opposition avec des artistes comme Michel-Ange ou le Tintoret, dont les oeuvres picturales s’appuyaient sur un art du dessin absolument virtuose et dont les compositions étaient préparées par des croquis détaillés, El Greco se contentait d’esquisses rapides à la plume, illuminées ou ombrées de coups de pinceau enduit de blanc ou de lavis, et laissant ensuite, sur la toile ou le panneau de bois, les masses colorées prendre leur forme propre en les soulignant d’ombres et de lumière. Toutefois, si de nombreux éléments sont déjà en place, il est difficile, le plus souvent, de reconnaître le style du Greco dans ses toiles italiennes.


 

L’Espagne (à partir de 1576)

 

Après un bref séjour à la cour du Roi Philippe II à Madrid, El Greco s’installe à Tolède. Cette ville, ancienne capitale de l’Espagne, avait  conquis ce titre sous le règne de son père Charles Quint et c’est son fils Philippe II qui décida de transférer la capitale à Madrid pour construire la cité royale de l’Escurial. Pourtant Tolède est restée la capitale culturelle de l’Espagne. Conquise par les rois catholiques dès 1085,  elle a continué de diffuser les cultures juives, musulmanes et chrétiennes.

 

C’est là, dans le coeur culturel de l’Espagne, mais loin du pouvoir, que se développa la personnalité propre du Greco, qui s’affranchissait du modèle italien, comme en témoigne son fameux Espolio (Partage de la tunique du Christ) qui date de 1577-1579 suivi de la commande du  grand retable de Santo Domingo el Antiguo à Tolède avec un tableau célèbre inspiré d’une gravure d’A. Dürer, « La Trinité douloureuse ».  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 1578, sa compagne, Jéronima de las Cuevas, met au monde leur fils, Jorge Manuel

 

 

En 1570 : Philippe II lui commande, pour l’Escurial, un « Martyre de St Maurice » qui ne plaît pas du tout au roi.

 

 

En 1586, il signe la commande de son tableau le plus célèbre « L’enterrement du Comte d’Orgaz »

 

     

 

     

 

Parallèlement à son activité de peintre, il s’implique dans la communauté grecque de Tolède composée de réfugiés venus en Espagne à la suite de la guerre menée par la Sainte Ligue (Venise, Gênes, l’Espagne et Malte) contre la politique d’expansion des Ottomans, illustrée par sa victoire lors de la bataille navale de Lépante en 1571.

El Greco a participé à des collectes de fonds et a organisé la vie de ses réfugiés. Il n’a pas non plus hésité, en 1582, à se faire l’avocat devant l’Inquisition d’un domestique athénien accusé d’hérésie.

 

 

Il reçoit ensuite, et ce, jusqu’à la fin de sa vie, de nombreuses commandes de portraits privés et surtout religieux puisqu’il s’agissait de participer à la contre-réforme, grand mouvement de reconquête catholique sur le protestantisme en plein essor à ce moment-là en Europe (Pays Bas espagnols, la Saint Barthélemy en France en 1572).

 

 

 

 

 

 

Il réalise donc pratiquement pendant toute sa vie des œuvres d’inspiration religieuse qu’il fait reproduire en plusieurs exemplaires par ses collaborateurs dans son atelier ou, à partir de 1606, en estampes, par le graveur Diégo de Astor, ce qui lui permet de vivre dans une certaine aisance grâce à des revenus confortables.

 

 


 

Parallèlement à ces portraits privés ou de dévotion, il réalise des retables avec leurs menuiseries, encadrements, sculptures et décorations, en parfait humaniste capable de tout faire : peinture, architecture, sculptures (dont il ne nous reste que très peu d’exemples).

 

En particulier, l’exécution du retable du Maître Autel  dit de Dona Maria d’Aragon va lui permettre d’affirmer un nouveau style de peinture qu’on peut qualifier de « style mystique tardif » caractérisé par des formes allongées, effets de lumière, combinaisons de couleurs dissonantes (vert olive, rose, bleu magenta, jaune d’or et bleu) et par l’emphase dans les gestes et expressions extatiques.

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De 1600 à 1614, il va réaliser une très belle série de tableaux visibles à la maison musée de Tolède, « Los Apostolados »

(Les Apôtres), où il retrouve un style de peinture  « classique » et où l’on peut mieux apprécier les différents stades de sa peinture puisque sur les 13 tableaux de la série seuls 3 sont considérés comme terminés.

 


 

Trois tableaux à part dans l’œuvre du Greco

 

 

 La Vue de Tolède sous l'orage  (1596-1600)

 

est généralement considérée comme l’un des premiers paysages en tant que sujet unique de peinture et non décor. El Greco a créé cet extraordinaire paysage, Vue de Tolède, dans la seconde moitié de 1590.  C’est l’un des premiers paysages dans l’art occidental et l’un des plus dramatiques paysages jamais peints. On trouvera ce même paysage en fond de quelques tableaux dont le Laocoon.

 

 

 

 

 

 

Le Laocoon (1610)

avec une vue de Tolède dans le fond, est l’une des peintures les plus inhabituelles de l’artiste,

son chef-d’œuvre.

 

Laocoon est un prêtre d’Apollon à Troie qui se méfie du cheval laissé par les Grecs devant les murs de la ville (soi-disant comme offrande à Poséidon pour garantir leur retour en Grèce). Il frappe avec son bâton le pied du cheval qui sonne creux mais personne ne veut le croire. Pour prouver aux Troyens que c’est un piège, il propose de sacrifier un taureau à Poséidon mais, devant l’autel, Athéna fait surgir un ou deux pythons qui tuent Laocoon et un (ou ses deux) fils avant l’aller se lover au pied de la statue d’Athéna. Les Troyens comprennent alors que la déesse est fâchée et ils décident de faire entrer le cheval dans la ville pour le sacrifier.

Une interprétation de ce tableau veut que les serpents représentent le mal que les hommes doivent vaincre avant de pouvoir suivre le cheval qui se trouve devant les murailles de Tolède, qu’on qualifie alors de « Jérusalem céleste ».

 

 

 

L’Ouverture du 5eme sceau de l’Apocalypse (1608-1614)

 

Une des dernières œuvres authentiques du Greco qui devait appartenir au Maître Autel de l’Hôpital Tavera. Il s’agit de la reprise d’un extrait de « l’Apocalypse de Saint Jean » concernant le livre aux sept sceaux. La peinture a été coupée au sommet, où il y avait peut-être une représentation du Trône :

"Un trône était dressé dans le ciel, et quelqu'un était assis sur le trône (...)et autour du trône étaient vingt-quatre sièges, et sur les sièges, j'ai vu vingt-quatre vieillards (...) Et je vis dans la main droite de celui qui était assis sur le trône un livre (...) scellé de sept sceaux (Apocalypse de Saint Jean, IV-4).

 

 

 

 

« "Et quand il eut ouvert le cinquième sceau, je vis sous l'autel les âmes de ceux qui ont été tués pour la parole de Dieu (...) Et ils crièrent d'une voix forte (…) Une robe blanche fut donnée à chacun d'eux. . . (Apocalypse de Saint Jean, VI, 9-11)."

 

Au premier plan, domine la figure incroyablement allongée, extatique de Saint-Jean, la tête tournée vers le ciel, implorant, les bras levés. Derrière lui, deux groupes de personnages. Trois hommes à droite, devant la draperie verte essaient d'atteindre les vêtements blancs distribués par un angelot volant alors que, devant un drap de couleur moutarde, deux hommes et deux femmes tentent de s'en recouvrir. Ce sont sans doute les âmes des gens, peut-être des Hébreux, qui ont été martyrisés pour la défense de leur foi et à qui un ange envoie des vêtements blancs pour les « blanchir » de leurs pêchés.

 

 

 

 

 

 

L’oubli et la redécouverte

 

Le Greco meurt ruiné à Tolède en 1614 laissant derrière lui un procès en cours avec le commanditaire du retable de l’Hôpital Tavera à tolède. Il a connu une longue période d’oubli dans les siècles suivants car les mouvements baroques et caravagesques supplantent définitivement le maniérisme, reléguant sa peinture à une peinture bizarre et extravagante. Ce sont les romantiques français du XIX ème siècle (Théophile Gautier) qui le redécouvrent mais  ce sont surtout les peintres du début du XXe siècle dont Cézanne et Picasso qui se réclament ouvertement de lui qui lui ont donné sa place, à la suite de Vélasquez et de Goya, dans la grande lignée des peintres espagnols.