A propos de Yannis Ritsos….

 

Il appartient à cette génération poétique des années trente, profondément marquée par l’entre-deux guerres, la défaite grecque en Asie Mineure en 1922, et qui veut rompre avec le passé, en cherchant d’autres sources d’inspiration. Sa génération sera fortement influencée par la Révolution d’Octobre et le surréalisme.

 

Né le 1er mai 1909, à Monemvassia, un village du Péloponnèse, ancienne forteresse vénitienne, appelée Malvoisie au temps des Croisades, Ritsos restera marqué par le décor de son enfance, qui lui offre un espace à la fois ouvert et fermé, comme une prison sans barreaux, qui théâtralise l’infini.

 

Il connut dans son adolescence un étrange destin.

 

Il est le fils d’une grande famille ruinée par la tuberculose et la folie, une famille ravagée, qui obsède sa vie et sa poésie, et dont la maison, peuplée de fantômes, revient sans cesse dans son œuvre, comme une maison morte, menaçant ruine, à l’image de son pays. Il passe lui aussi de nombreuses années entre l’hôpital et le sanatorium. En effet, de santé fragile, affaibli par la tuberculeuse, il a 17 ans à son arrivée à Athènes, en 1926, où il découvre un monde hostile et impitoyable. Il trouve alors deux appuis qui vont lui permettre de survivre : la poésie et l’idéal révolutionnaire. Son premier recueil date de 1934.

 

En mai 1936, à Thessalonique, un jeune ouvrier gréviste est tué par les forces de l’ordre. La presse publie sa photo, gisant sur le sol, une femme penchée sur lui. Bouleversé, Ritsos écrit « Epitaphios », un long poème pour traduire les pleurs d’une mère. Une plainte si déchirante, qu’elle fut chantée dans les églises orthodoxes à l’office du Vendredi Saint. Un chant d’amour, vite devenu chant révolutionnaire, et que la dictature de Metaxas, instaurée quelques mois plus tard, fera brûler publiquement à Athènes. Un poème qui sera mis en musique par Théodorakis, à la fin des années 50. Et que plus de 500 000 personnes chanteront en 1963, lors des funérailles du député Lambrakis, lui aussi assassiné au mois de mai, à Thessalonique.

Durant sa vie, Ritsos a connu d’interminables années noires : la dictature de Metaxas de 1936 à 1941, la guerre d’Albanie, l’occupation nazie et la grande famine, la Résistance, la guerre civile de 1947 à 1949, la junte des colonels de 1967 à 1974. Plus que d’autres, il a payé de sa personne : déporté et emprisonné de 1948 à 1952, il l’est de nouveau de 1967 à 1972, dans les îles de Léros et de Samos. De 1945 à 1947, il travaille sur son poème « Grécité » (Romiosini). En chantant Grécité, mis en musique par Théodorakis, les combattants ont tout de suite reconnu leur propre voix, car cette terre est le symbole de leur dignité, qu’ils soient morts ou vivants .

 

Au cours de sa seconde déportation, durant la dictature des colonels, il déjoue la censure avec « Pierres Répétitions Barreaux », qui sera préfacé par Aragon et publié à Paris en 1971. Et pour répondre à la demande de Théodorakis, qui souhaite des textes de Ritsos pour les mettre en musique, il écrit « Dix-huit petites chansons pour la patrie amère », des textes très brefs, qu’on imagine gravés sur des galets ou des écorces d’arbres.

Lorsqu’en 1974 s’achève la dictature des colonels, le peuple grec peut enfin exprimer librement sa ferveur et son admiration à celui qu’il identifie désormais spontanément au destin du pays. Yannis Ritsos reçoit alors titres, hommages, honneurs et décorations dans son pays et à l’étranger. Son œuvre immense, qui comprend plus d’une centaine de livres et de recueils, est rééditée et traduite dans plus d’une vingtaine de langues. Les traductions françaises se multiplient. En 1989 Ritsos reçoit le prix Joliot-Curie du Congrès mondial de la paix. Il meurt à Athènes le 11 novembre 1990, à l’âge de 81 ans, et est enterré dans le petit cimetière de son village natal, à Monemvassia.

Poèmes publiés par les Editions Bruno Doucey (Editions bilingues)

www.editions-brunodoucey.com

« Symphonie du printemps »  (avril 2012 )

« Dix huit petites chansons de la patrie amère » (novembre 2012)

« Le chant de ma sœur » (mai 2013)

« Grécité » (mai 2014)

« La marche de l’océan » (novembre 2014)

Quelques poèmes

NE PLEURE PAS LA GRÉCITÉ

Ne pleure pas la Grécité
lorsqu’elle est prête à fléchir
le couteau sur la gorge

la corde au cou

Ne pleure pas la Grécité                              
voilà qu’elle reprend son envol
Son courage gronde
et harponne le fauve
avec la lance du soleil.

PROMIS À LA LIBERTÉ

Ici se taisent les oiseaux
et les carillons de la résurrection
dans le silence amer du Grec
qui veille ses morts –
aiguisant sur la pierre du silence                                             

les griffes de sa vaillance
Seul et sans aide

promis à la Liberté.   

 

ÇA NE SUFFIT PAS

Pudique et sobre, il parlait peu
Il admirait la création
Mais quand l’épée l’a foudroyé
Il a rugi comme un lion

Maintenant la voix ne lui suffit pas
La malédiction ne lui suffit pas
Pour dire ce qui est juste
Il lui faut un fusil .

          

( 18 chansons de la patrie amère Traduction : Irène Droit)